Ulm - Lettres et Sciences humaines
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Écritures « potaches » et subversion

        Programme de la revue de 1926.
           Fonds Eugène Bloch, X/15a.

     

Boute-en-train inséparables, les conscrits Sartre et Nizan, surnommés Nitre et Sarzan, excellent dans l'art du canular. C'est dans la traditionnelle « Revue » annuelle présentée par les élèves que la verve de Sartre s'exprime le mieux, brocardant l'administration et les enseignants.

Il rejoint la troupe du Théâtre des Folies normaliennes et monte avec ses camarades la « revue à grand spectacle », présentée le 28 mars 1925 : « La Revue des Deux mondes ou le Désastre de Langson ». Jean-Paul Sartre en a écrit le texte. Il endosse le rôle de Gustave Lanson, le directeur de l'Ecole, parti à la conquête du Brésil opprimé par un tyran, Timeo Danaos (Aimé Perpillou), et sa compagne, la belle Dona Ferentes (Daniel Lagache), escortés du colonel Pitzarre (Georges Canguilhem). Dans l'assistance composée de parents et d'anciens élèves, les archicubes, se trouvent des officiels : Édouard Herriot, président du Conseil, Paul Painlevé et François Albert. « Les ministres, oubliant leurs soucis, riaient de bon cœur », lit-on dans le Bulletin de la société des amis de l'ENS.

En 1926, Sartre reprend le rôle de Lanson dans la revue « A l'ombre des vieilles billes en fleurs » jouée le 20 mars. Le ton se fait plus irrévérencieux. « La Revue était excellente, un peu sévère peut-être : cet âge est sans pitié » dit le Bulletin. Toutefois la performance d'acteur du jeune Sartre est saluée par la presse : « A citer notamment l'élève Sartre, qui a brillamment tenu le rôle de M. Lanson », (L'Œuvre, 22 mars 1926).

Mais la Revue de 1927, « Fossiles et marteaux », violemment antimilitariste, fait scandale. Sartre quitte le costume de Lanson pour revêtir celui de Meuvret, nouvellement nommé aux côtés de Paul Etard qui succède à Lucien Herr à la tête de la bibliothèque. Au premier acte, selon la tradition de la revue normalienne, se mêlent calembours et railleries aux dépens du jeune Meuvret et de la pauvre Mademoiselle Jacotin, seule jeune femme à être admise à Ulm en cette année universitaire. Puis le tableau change, l'armée est fustigée. Quand Broussaudier entonne la complainte du capitaine Cambusat sur l'air de « la Marseillaise », c'est l'indignation parmi l'assistance.

Un simple entrefilet en rend compte dans le Bulletin : « Fin mars, les élèves donnèrent leur Revue annuelle, les archicubes s'accordèrent à la trouver un peu grosse et grasse ; l'esprit normalien serait-il en défaillance ? ». La plume de Gustave Hervé, rédacteur en chef de La Victoire, est plus virulente : « Ce fut un vrai scandale, l'autre soir, à l'École normale supérieure. (…) Comment la confection fut-elle confiée à des jeunes gens dont les opinions antimilitaristes ne font aucun doute ? ». Les auteurs des couplets, Sartre, Canguilhem, Le Bail, Lucot et Broussaudier, seront sévèrement blâmés par Lanson. Mais l'incident eut un tel retentissement qu'il ne fut pas sans conséquence pour le directeur lui-même, qui quittera ses fonctions quelques semaines plus tard.