Ulm - Lettres et Sciences humaines
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Introduction

Caphés, Fonds Canguilhem, GC. 43 (D.R.)

Né à Bar-sur-Aube en 1884, Gaston Bachelard va gravir tous les échelons de l’« échelle républicaine » à force d’études et de travail. Issu d’un milieu modeste et rustique, il passe, après son baccalauréat, le concours d’admission des Postes et Télégraphes en 1903. Promu à Paris en 1909, il reprend des études scientifiques grâce aux cours du soir pour devenir ingénieur des P&T. Mais la première Guerre Mondiale empêche ce projet d’aboutir. Après la guerre (il fut cité pour son endurance et sa bravoure), il devient professeur de physique et de chimie dans sa ville natale et entame des études de philosophie. En 1922, il est reçu à l’agrégation de philosophie. En 1927, il soutient sa thèse principale (sous la direction d’Abel Rey), l’Essai sur la connaissance approchée, qui obtient le prix de l’Institut, et sa thèse complémentaire (sous la direction de Léon Brunschvicg) : Etudes sur l‘évolution d’un problème de physique : la propagation thermique dans les solides. En 1929, il publie La Valeur inductive de la Relativité. En 1930, il devient professeur de philosophie et de littérature française à Dijon.
Les ouvrages et les articles se succèdent alors à un rythme soutenu : Le Pluralisme cohérent de la chimie moderne (1932), L’Intuition de l’instant (1932), Les Intuitions atomistiques (1933), Le Nouvel Esprit scientifique (1934), La Dialectique de la durée (1936), L’Expérience de l’espace dans la physique contemporaine (1937), La Formation de l’esprit scientifique (1938), La Psychanalyse du feu (1938), Lautréamont (1939). Durant cette période faste de l’entre-deux-guerres, il faut aussi retenir sa participation à la Société Française de Philosophie, au Centre International de Synthèse d’Henri Berr, aux décades de Pontigny, ainsi qu’aux Congrès internationaux de philosophie, d’abord en 1934 à Prague, où il se lie à Roger Caillois et Jean Cavaillès, puis à Paris en 1937 (« Congrès Descartes »), où il noue une solide amitié avec Federigo Enriques et Ferdinand Gonseth.
En 1940, cette période laborieuse et heureuse se clôt : il monte à Paris pour remplacer à la Sorbonne et à la tête de l’Institut d’Histoire des Sciences Abel Rey, qui vient de mourir, et renonce momentanément, après La Philosophie du non (1940), à ses études épistémologiques. Un autre pan de son œuvre se déploie, celui du cycle de la poétique des éléments avec L’Eau et les Rêves (1941), L’Air et les Songes (1943), La Terre et les rêveries de la volonté (1948) et La Terre et les Rêveries du repos (1948). Seul philosophe français invité à participer en 1949 à l’hommage à Albert Einstein, Albert Einstein Philosopher-Scientist, Bachelard renoue avec l’épistémologie en publiant un de ses ouvrages les plus décisifs : Le Rationalisme appliqué (1949). Il enchaîne avec L’Activité rationaliste de la physique contemporaine (1951) et Le Matérialisme rationnel (1953). Il prend sa retraite en 1955 et transmet son poste et la direction de l’IHS à Georges Canguilhem. Il ne se consacrera plus dès lors qu’à la poésie et à l’imaginaire : La Poétique de l’espace (1957), La Poétique de la rêverie (1960), La flamme d’une chandelle (1961). En 1956, il a abandonné aussi la présidence de la Société Française de Philosophie, mais continue de participer au Centre International de Synthèse. Après la seconde Guerre Mondiale, Bachelard va aussi s’exprimer abondamment sur les ondes de France Culture et devenir une figure immensément populaire que consacre son passage à l’ORTF en 1961. Il s’éteint en 1962 sans jamais avoir cessé de propager le goût des formules mathématiques et poétiques. Ses ouvrages posthumes regroupent certains de ses articles et des inédits : Le Droit de rêver (1970), Etudes (1970), L’Engagement rationaliste (1972), Fragments pour une poétique du feu (1988).

« Le Surrationalisme » est le titre d’un article paru en 1936 dans l’éphémère revue Inquisitions (et repris plus tard dans L’Engagement rationaliste) qui regroupaient des intellectuels, artistes et savants, proches du Front populaire. Néologisme forgé par analogie avec l’esthétique surréaliste, le « surrationalisme » symbolise par excellence l’esprit résolument progressiste de Gaston Bachelard qui entendait ainsi dénoncer le rationalisme étroit et conservateur pour qui le respect de la rigueur scientifique se confond parfois avec la révérence envers l’ordre établi. Au contraire, Bachelard veut restituer à la raison son agressivité, sa turbulence, son instinct révolutionnaire. Car toute pensée véritablement neuve, inventive, est nécessairement polémique, puisqu’elle entre en conflit avec les évidences sédimentées qu’il faut dépasser. Davantage encore que ses travaux admirables, c’est cette audace joyeuse, exigeante, et peut-être même imprudente (« Dans le règne de la pensée, l’imprudence est une méthode ») qui constitue, selon nous, le legs le plus précieux de la pensée bachelardienne pour relever les défis de la culture scientifique et littéraire contemporaine.

Vincent Bontems

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