Un cahier d'expérience de Pasteur
Louis Pasteur,
Cahier de manipulations des élèves de l'École normale. 3e année. - 1847-1848
Écrit par Pasteur, avec des additions d'Henri Debray.
Fonds Sainte-Claire Deville, ms 52
"Troisième manipulation. 13 novembre 1847"
(Suite au verso).
À l'occasion de la journée Pasteur du 11 octobre 2013, organisée pour la remise du prix de l'American chemical society (division Histoire de la chimie) pour la découverte de la dissymétrie moléculaire, la Bibliothèque expose un cahier de manipulations de 1847-1848, ainsi que divers documents montrant trois aspects de l'activité de Louis Pasteur à l'École normale : - agrégé-préparateur continuant ses recherches en cristallographie en 1846-1848 - administrateur de l'École, redouté des élèves, de 1857 à 1867 - directeur du laboratoire de chimie physiologique de 1867 à 1889, honoré de multiples distinctions pour ses découvertes (dont le vaccin contre la rage en 1885). | |
Les papiers de Louis Pasteur, y compris les cahiers de laboratoire, ont été donnés en 1964 par son petit-fils, Louis Pasteur Vallery-Radot, à la Bibliothèque nationale de France (NAF 17923-18112). Cependant la bibliothèque de l'ENS conserve dans le fonds Sainte-Claire Deville, sous les cotes SAI Ms 51 et Ms 52, deux cahiers de manipulations de la main de Pasteur, alors agrégé-préparateur.
Ce fonds, qui provient du Laboratoire de chimie, a été déposé à la Bibliothèque en 1977 : il a pris le nom de Sainte-Claire Deville, qui dirigea le laboratoire de 1851 à 1881, parce que majoritairement constitué de la correspondance et des cahiers d'expériences du chimiste qui inventa le procédé de la production industrielle de l'aluminium. Le fonds contient également des notes de cours de Lespieau (1925-1926), de Kirrmann, des manuscrits de Georges Dupont (1920-1956).
La page du manuscrit présentée ci-dessus est datée du 13 novembre 1847 : à cette date l'École normale vient de quitter les locaux de l'ancien Collège du Plessis, rue Saint-Jacques, et de s'installer dans les nouveaux bâtiments de la rue d'Ulm, inaugurés le 4 novembre précédent.
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Louis Pasteur a apporté au cours de sa thèse une contribution capitale au développement de la chimie moderne. Dans un article publié en 1848,1 il a résolu de manière brillante un problème qui se posait aux chimistes depuis plus d’une vingtaine d’années. Il a mis en œuvre pour cela l’acide tartrique, un sous-produit classique de la vinification, alors utilisé dans la teinturerie. On savait qu’une solution d'acide tartrique ou de ses sels (tartrates) possédait une propriété optique particulière : elle faisait tourner le plan de la lumière polarisée la traversant. C’est pourquoi la découverte fortuite d’un autre acide de même composition et possédant les mêmes fonctions chimiques que l’acide tartrique, l’acide paratartrique, mais dont les solutions ne présentaient aucun pouvoir rotatoire a excité la curiosité de nombreux savants de l’époque Louis Pasteur avait émis l’hypothèse d’une corrélation entre la morphologie des cristaux des corps purs (en particulier des tartrates) et le pouvoir rotatoire de leurs solutions : les cristaux présentant une dissymétrie (« hémiédrie ») devaient donner une solution à pouvoir rotatoire non nul, contrairement aux solutions issues des cristaux présentant un plan de symétrie. Alors élève à l’Ecole Normale, il fut ainsi fort troublé par la publication d’une note du cristallographe allemand Eilhard Mitscherlich publiée en 1844. Il y était rapporté que parmi les couples tartrate / paratartrate, il y en avait un, le couple « tartrate double de soude et d'ammoniaque » / « paratartrate double de soude et d'ammoniaque », où le tartrate et le paratartrate n'étaient discernables que par la propriété rotatoire, présente dans le tartrate et absente dans le paratartrate. En particulier, ce tartrate et ce paratartrate avaient, selon Mitscherlich, la même forme cristalline. Pasteur eut peine à croire « que deux substances fussent aussi semblables sans être tout à fait identiques ». Il reproduisit ainsi les expériences de Mitscherlich et s'aperçut d'un détail que Mitscherlich n'avait pas remarqué : dans le tartrate, les cristaux présentaient une dissymétrie toujours orientée de la même façon ; en revanche, dans le paratartrate correspondant, il coexistait deux formes de cristaux, images spéculaires non superposables l'une de l'autre, et dont l'une était identique à celle du tartrate (voir figure ci-dessous).
Cristaux de paratartrate double de soude et d'ammoniaque. Les deux cristaux sont images l’un de l’autre dans un miroir plan. Pasteur décida de séparer manuellement les deux sortes de cristaux du paratartrate, en fit deux solutions et observa qu’elles induisaient la rotation du plan de polarisation de la lumière, de la même valeur mais dans un sens opposé pour les deux échantillons. Liant conformément à son hypothèse la déviation du plan de polarisation à la morphologie cristalline, Pasteur conjectura que l’acide paratartique était un mélange en même proportions de deux molécules dissymétriques, inverses l'une de l'autre. C'était la première apparition de la notion de chiralité des molécules, une notion qui connut par la suite d’importants développements, en particulier en lien avec les applications pharmacologiques des molécules d’intérêt thérapeutique. | |
Louis Pasteur, Rapport hebdomadaire de l'Administrateur à l'Inspecteur général chargé de la haute direction de l'École. École normale supérieure, Paris, le 7 novembre 1864. 320 x 207 mm, 2 f. Manuscrits, Ms 230. [voir le verso signé de Pasteur] Pasteur fut administrateur de l'ENS et directeur des études scientifiques de 1857 à 1867 : intransigeant sur le respect à la lettre du règlement, il va se montrer un « redoutable disciplinaire » (d'après le témoignage de Lavisse, qui était élève en 1862-1865) et faire régner un ordre quasi militaire. Deux épisodes sont restés célèbres : la « révolte des haricots » en 1863 - les élèves refusant un ragoût de mouton immangeable - et surtout l' « affaire Sainte-Beuve » en 1867 - le critique littéraire ayant défendu des écrivains jugés subversifs, un jeune normalien, Lallier, lui envoya une lettre de félicitation qui fut publiée dans un journal, le scandale qui s'ensuivit obligea Pasteur à démissionner. Dans le document présenté ici, Pasteur évoque le cas d'un élève, Wallon, qui prétend être devenu protestant pour échapper à l'obligation d'assister aux offices religieux : "S'il est conduit à affirmer qu'il n'est d'aucune religion reconnue par l'État, il doit être exclu de l'École". De même Pasteur désire exclure "tout élève qui sera trouvé fumant à l'intérieur de l'École". | |
| A. Gerschel et fils Portrait de Louis Pasteur vers 1895. Photographie positive : noir et blanc,30 x 22 cm Fonds photographique, PHO A/5 : Centenaire de l'Ecole normale supérieure : 22 janvier 1795-1895..., p. 2. En 1889 Pasteur a quitté son appartement de l'École normale pour l'Institut Pasteur nouvellement créé. En 1895, trop malade, il ne peut participer aux festivités du centenaire de l'École, mais reçoit une délégation des élèves en avril. Il décédera peu après, le 28 septembre 1895. Depuis ses travaux sur les maladies infectieuses et la mise au point du vaccin contre la rage en 1885, honoré de multiples distinctions, Pasteur incarne la gloire de la science : dans l'album photographique du Centenaire fait par Gerschel son portrait apparaît à la deuxième page, juste après celui du ministre de l'Instruction publique, Raymond Poincaré. | |
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"La découverte de la dissymétrie moléculaire" : texte de Ludovic Jullien, directeur du Département de chimie de l'ENS
Présentation réalisée par Estelle Boeuf-Belilita - octobre 2013.