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Assia Djebar (1955 L) (1936-2015) Hommage. 

 

 

« Une respiration à l’air libre… »

Portrait de l'écrivaine, historienne et membre de l'Académie française Assia Djebar en 1960 - AFP/Studios Harcourt.
Portrait de l'écrivaine, historienne et membre de l'Académie française Assia Djebar en 1960 - AFP/Studios Harcourt.

Assia Djebar n’est encore que Fatma-Zohra Imalayene lorsqu’elle entre à l’École Normale Supérieure de Sèvres à la rentrée 1955. Première Algérienne musulmane normalienne, elle n’y étudiera l’histoire qu’une année avant d’en être exclue lorsqu’elle répond à l’appel à la grève des examens lancé par le FLN le 19 mai 1956. En « vacance » forcée, l’étudiante débute la rédaction de son premier roman, La Soif, publié au printemps 1957 et adopte ce pseudonyme : Assia Djebar, lequel signifie tout à la fois celle qui console, mais aussi l’intransigeante. Un programme d’écriture en somme, à travers lequel souci esthétique et injonction éthique entretiennent des rapports étroits. Mais aussi un commencement absolu, l’apparition d’une plume radicalement inédite. Le Général de Gaulle lui-même demandera sa réintégration dans l’École en 1959 en raison de son « talent littéraire ».
La Soif surgit donc en pleine guerre d’Algérie et s’impose, en rupture avec son époque. La polémique enfle parmi les rangs nationalistes : l’heure n’est pas aux aspirations individualistes d’une petite-bourgeoise, mais bien plutôt à l’engagement sans réserve pour la cause indépendantiste, et l’émancipation d’un peuple pris dans sa globalité ! Assia Djebar vingt ans plus tard défendait encore son roman, légitimant la nécessité d’une libération du  sexe dit « faible », lorsque la gent féminine représente plus de cinquante pour cent d’une population cherchant à se libérer de la tutelle du joug colonialiste. Elle ajoutait, évoquant ses confrères : « Contre tous leurs tambours, j’ai voulu inscrire un air de flûte, et je ne peux m’empêcher de penser qu’il résonne encore aujourd’hui de façon juste ! »
Bien que la matière connue de l’œuvre-Djebar ait émergé bien des années plus tard, et ait marqué l’inauguration d’une œuvre singulière, tressant la grande histoire, collective, avec l’histoire autobiographique, individuelle, les quatre premiers romans d’Assia Djebar sont loin d’être de simples divertissements intellectuels, des « jeux de l’esprit » sans envergure. Faisant déjà montre d’un travail sur la structure romanesque, ces fictions sont architecturées à l’image de la disposition spatiale des maisons arabes, ainsi que la romancière a pu l’expliciter ultérieurement dans certains entretiens. Les aspirations féministes qui se font jour dans les deux premiers romans (le second, Les Impatients, paraît en 1958) sont bientôt supplémentées, enrichies, par des œuvres qui, tout en n’abandonnant pas ce thème central dans l’œuvre de Djebar, évoquent la guerre de libération nationale et la forge de temps nouveaux, dans lesquels précisément les femmes ont leur partie à jouer. Ainsi, Les Enfants du Nouveau Monde publiés au printemps 1962, et Les Alouettes Naïves, parues en 1967, proposent-ils des figures inoubliables de femmes qui tentent de prendre en main et de maîtriser le cours de leur destin.
Mais c’est le détour par l’expérience cinématographique au cours des années soixante-dix (La Nouba des femmes du mont Chenoua, 1978) et la redécouverte d’une généalogie maternelle qui lui permettront de mettre à jour ce qu’elle nomme une « sororité », un « parler près de », entre femmes, qui n’est pas simple représentation, délégation de parole, mais écho de paroles, partage d’expériences dans une société patriarcale. Le matériau puisé à l’occasion d’une vingtaine d’heures d’enregistrement de témoignages de femmes nourrira le contenu de la troisième partie de L’Amour, la fantasia, publié en 1985, son chef-d’œuvre à n’en pas douter. Dans cet opus, l’autobiographie se réinvente : au pluriel, tant il est vrai que l’histoire individuelle du sujet-narrateur ne peut se dissocier de l’histoire de sa patrie, de l’histoire de ses lignées maternelle et paternelle, ce qui légitime le choix d’une alternance des chapitres dits « historiques » et des chapitres dits « autobiographiques ». C’est aussi façon de dire : la période contemporaine ne peut être lue qu’à l’aune des périodes qui l’ont précédée ; certains phénomènes structurels reçoivent éclairage inédit par le télescopage même de séquences temporelles hétérogènes.
L’œuvre cinématographique initiera en outre une réflexion d’Assia Djebar sur le rapport aux différentes langues qui constituent son quotidien : le français, l’arabe – ou le nourrissent en arrière-fond : le berbère. Les heures passées en repérage, puis en tournage, auprès des femmes de sa tribu dans la région du Chenoua, s’exprimant en arabe, ou en berbère, lui permettront, ainsi qu’elle l’a maintes fois rappelé « de sortir de son français, d’en faire le tour, puis de se le réapproprier » - en une démarche désormais librement consentie, maîtrisée, et non plus du seul fait de la contrainte historique. Dès lors, chaque ouvrage constitue pour l’écrivaine une véritable exposition de soi, un acte ambivalent, à double tranchant, mais le seul à même de « bercer les blessures » de l’Histoire : « Tenter l’autobiographie par les seuls mots français, c’est, sous le lent scalpel de l’autopsie à vif, montrer plus que sa peau. Sa chair se desquame, semble-t-il, en lambeaux du parler d’enfance qui ne s’écrit plus. Les blessures s’ouvrent, les veines pleurent, coule le sang de soi et des autres, qui n’a jamais séché. » (L’Amour, la fantasia)
Le lecteur peut alors, en découvrant les œuvres de cette époque (Femmes d’Alger dans leur appartement, 1980 ; Ombre sultane, 1987) mesurer la culture conséquente de la romancière, acquise notamment durant ses études d’hypokhâgne et de khâgne aux lycée Bugeaud d’Alger, et Fénelon à Paris, puis à l’ÉNS. Les premières œuvres portaient référence, entre autres, des poètes de la Résistance française (Éluard, Desnos, Aragon) :  ainsi des Enfants du Nouveau Monde, dont les protagonistes, engagés dans leur combat pour une Algérie indépendante, inscrivaient leur pas dans ceux de leurs glorieux aînés luttant contre la barbarie nazie. Les œuvres de la seconde période, faisant retour sur les rapports tumultueux de la France et de l’Algérie, convoquent un certain nombre d’auteurs dont la particularité est d’avoir constitué ce trait d’union entre l’Europe conquérante, impérialiste, « universelle », et l’Afrique du Nord, colonisée, réceptacle de tant de civilisations qui s’y sont succédé, objet d’un regard souvent « orientalisant », essentialisant l’autre : ainsi de Saint Augustin, Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, ou bien encore Albert Camus qui irriguent les pages de la romancière algérienne et y font périodiquement retour.
 Les ouvrages suivants, tels Loin de Médine ou Vaste est la prison, parus respectivement en 1991 et 1995, auront à cœur de questionner les « blancs » de l’Histoire officielle, celle avec sa grande hache, l’institutionnelle, tant Assia Djebar sut, à partir de sa solide formation classique et humaniste, ainsi que de sa qualité d’historienne, mettre à jour par le biais de la création littéraire les non-dits, les implicites, la part occultée de l’histoire, celle toujours écrite « par les hommes ». Ainsi rejoint-elle certaines perspectives développées, vulgarisées, par un certain Carlo Ginzburg et sa « micro-histoire ». Outre la mise en valeur des sans-grades, des acteurs « infimes » de l’histoire, c’est aussi la frontière parfois ténue, problématique, entre la mise à jour d’une mémoire et la démarche historienne, qui se voit abordée, dans un ouvrage tel que La femme sans sépulture (2002), par exemple.
« L’écriture est dévoilement, en public, devant des voyeurs qui ricanent… Une reine s’avance dans la rue, blanche, anonyme, drapée, mais quand le suaire de laine rêche s’arrache et tombe d’un coup à ses pieds auparavant devinés, elle se retrouve mendiante accroupie dans la poussière, sous les crachats et les quolibets. », écrit Assia Djebar dans L’Amour, la fantasia. Cette émancipation par l’écriture, par l’exercice de la raison critique, n’ont pu hélas libérer totalement la femme sur un plan plus intime, ni empêcher l’exhérédation pesant sur toute femme issue d’une terre d’Islam, et d’une société patriarcale, ainsi que l’écrivaine en fera la confession dans son dernier opus, Nulle part dans la maison de mon père, publié en 2007. Le chemin vers la liberté est long, semé d’embûches : « Vaste est la prison ! », s’écrie la comptine berbère. C’est en ce sens que l’œuvre d’Assia Djebar peut s’écrier par la voix d’un des personnages du roman éponyme : « La liberté est un mot bien trop vaste ! Soyons plus modestes, et désireuses seulement  d’une respiration à l’air libre. »

Hervé SANSON, enseignant-chercheur,  (RWTH University-Aachen)

L'enfance.

Apulée, Les métamorphoses ou l'âne d'or, Paris, les Belles-Lettres, 1947.
Cote ENS : L L d 75 A 8°

Apulée, Les métamorphoses ou l'âne d'or, Paris, les Belles-Lettres, 1947.

« Il serait utile peut-être de rappeler que, dans mon enfance en Algérie coloniale (on me disait alors « française musulmane ») alors que l'on nous enseignait « nos ancêtres les Gaulois », à cette époque justement des Gaulois, l'Afrique du Nord, (on l'appelait aussi la Numidie), ma terre ancestrale avait déjà une littérature écrite de haute qualité, de langue latine ... »
Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006

Assia Djebar cite ce jour-là « trois grands noms » : Apulée, Tertullien et Augustin.

« Quelle révolution, ce serait, de le traduire en arabe populaire ou littéraire, qu'importe, certainement comme vaccin salutaire à inoculer contre les intégrismes de tous bords d'aujourd'hui. »

Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006

 

 

 

 

Tertullien (0155?-0222?). Q. Septimii Florentis Tertulliani opera. [...], Vindobonae, Hoelder-Pichler-Tempsky, 1957.

« […] extraite de son opus Du voile des vierges, cette affirmation : « Toute vierge qui se montre, écrit Tertullien, subit une sorte de prostitution ! », et, plus loin, « Depuis que vous avez découvert la tête de cette fille, elle n'est plus vierge toute entière à ses propres yeux ».

Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006

 

 
Tertullien (0155?-0222?). Q. Septimii Florentis Tertulliani opera. Pars quarta., Ad martyras, Ad scapulum, De fuga in persecutione, De monogamia, De virginibus velandis, De pallio, ed. Vincentius Bulhart De paenitentia, edidit Philippus Borleffs. Vindobonae, Hoelder-Pichler-Tempsky, 1957.
Cote : T S c 31 (76) 8°

 

 

Les origines.

Augustin (saint) (0354-0430). Confessions 1, Livres I-VIII, texte établi et traduit par Pierre de Labriolle. Paris, Les Belles Lettres, 1925.
Cote : L L c 624 (1) 12°
Augustin (saint) (0354-0430). Confessions 1, Livres I-VIII, texte établi et traduit par Pierre de Labriolle. Paris, Les Belles Lettres, 1925.

« En plein IVe siècle, de nouveau dans l'Est algérien, naît le plus grand Africain de cette Antiquité, sans doute, de toute notre littérature : Augustin, ne de parents berbères latinisés … Inutile de détailler le trajet si connu de ce père de l'Eglise : l'influence de sa mère Monique qui le suit de Carthage jusqu'à Milan, ses succès intellectuels et mondains, puis la scène du jardin qui entraîne sa conversion, son retour à la maison paternelle de Thagaste, ses débuts d'évêque à Hippone, enfin son long combat d'au moins deux décennies, contre les Donatistes, ces Berbères christianisés, mais âprement raidis dans leur dissidence.
Après vingt ans de luttes contre ces derniers, eux qui seraient les « intégristes chrétiens » de son temps, étant plus en contact certes avec leurs ouailles parlant berbère, Augustin croit les vaincre : justement, il s'imagine triompher d'eux en 418, à Césarée en Maurétanie (la ville de ma famille et d'une partie de mon enfance). Il se trompe. Treize ans plus tard, il meurt, en 431 dans Hippone, assiégée par les Vandales arrivés d'Espagne et qui, sur ces rivages, viennent, en une seule année, de presque tout détruire.
 »

Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006.

 

 

 

 

 

Ibn Haldun, 'Abd al-Rahman ibn Muhammad (1332-1406). Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner, 1968, vol. 1.

« Après 711 et jusqu'à la chute de Grenade en 1492, l'arabe des Andalous produisit des chefs d'oeuvre dont les auteurs, Ibn Battouta le voyageur, né à Tanger ; Ibn Rochd le philosophe commentant Aristote pour réfuter El Ghazzali, enfin le plus grand mystique de l'occident musulman, Ibn Arabi, voyageant de Bougie à Tunis et de là, retournant à Cordoue puis à Fez. La langue arabe était alors véhicule également du savoir scientifique (médecine, astronomie, mathématiques, etc.). Ainsi, c'est de nouveau, dans la langue de l'Autre (les Bédouins d'Arabie islamisant les Berbères pour conquérir avec eux l'Espagne) que mes ancêtres africains vont écrire, inventer. Le dernier d'entre eux, figure de modernité marquant la rupture, Ibn Khaldoun, né à Tunis, écrit son histoire des Berbères en Algérie ; au milieu du XIVe siècle. Il finira sa vie en 1406 en Orient ; comme presque deux siècles auparavant, Ibn Arabi. »

Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006

 
Ibn Haldun, 'Abd al-Rahman ibn Muhammad (1332-1406). Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, traduite de l'arabe par le Baron de Slane, Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner, 1968, vol. 1.
Cote : H M afr 34 A (1) 8° vol. 1

 

Ibn Battuta, Muhammad ibn Allâh (1304-1369?). The Travels, A.D. 1325-1354 of Ibn Battuta, Cambridge, The University Press, 1956, vol. 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ibn Battuta, Muhammad ibn Allâh (1304-1369?). The Travels, A.D. 1325-1354 of Ibn Battuta, edited by C. Defremery, H. A. R. Gibb, B.R. Sanguinetti and translated by  H. A. R. Gibb. Cambridge, The University Press, 1956, vol. 1.
Cote : H V vo 361 (1) 8° vol. 1

 

 

Les grands maîtres.

Louis Massignon découvre l'Algérie en 1901 et le Maroc en 1904. Il apprend l'arabe littéraire et dialectal en 1906 et entreprend une magistrale thèse de doctorat en 1907 sur le mystique persan Mansur Al Hallâj. Il est le premier traducteur d'Al Hallâj dans une langue européenne. Dans son œuvre, il est amené à réfléchir sur les figures communes que partagent l'Islam et le Christianisme, en particulier Abraham, le modèle des croyants dans les religions monothéistes, et Fatima, la fille du prophète Mahomet. Assia Djebar entreprend sous sa direction, en 1958, une thèse de doctorat d'histoire sur Aïcha el Manoubia, sainte patronne de Tunis à la fin du XIIe siècle.

Massignon, Louis (1883-1962). Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane. Paris, P. Geuthner, 1914-1922.

 

 

 

 

 

 

 

 

Massignon, Louis (1883-1962). Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane. Paris, P. Geuthner, 1914-1922.
Cote : Thèse 1603 B

Massignon, Louis (1883-1962). La passion d'Al Hallâj. Paris, P. Geuthner, 1914-1921.
Cote : Thèse 1603 A
Massignon, Louis (1883-1962). La passion d'Al Hallâj. Paris, P. Geuthner, 1914-1921.

 

 

« En pleine guerre d'Algérie […] j'ai bénéficié de chaleureux dialogues avec de grands maîtres des années cinquante : Louis Massignon, islamologue de rare qualité, pour mes recherches alors en mystique féminine, du Moyen Age, l'historien Charles-André Julien qui fut mon doyen à l'Université de Rabat autour de 1960, enfin le sociologue et arabisant Jacques Berque qui me réconfortait, hélas, juste avant sa mort, en pleine violence islamiste de la décennie passée contre les intellectuels en Algérie. »


Discours de réception d'Assia Djebar à l'Académie française le 22 juin 2006

 

 

 

 

 

Julien, Charles-André (1891-1991). L'Afrique du Nord en marche : nationalisme musulman et souveraineté française. Paris, Julliard, 1952.

Historien, membre du parti communiste entre 1920 et 1936 puis membre de la SFIO, Charles-André Julien est une figure importante de l'anticolonialisme depuis les années 1930. Dans les années 1950, il dénonce la politique française au Maghreb. Après l'indépendance du Maroc en 1956, le roi Mohamed V l'invite à fonder l'université de Rabat. Assia Djebar, qui a été son élève à la Sorbonne, le retrouve à la faculté des Lettres de Rabat où elle enseigne l'histoire pendant trois ans. Charles-André Julien quitte ses fonctions de doyen de la faculté des Lettres en 1961, ne souhaitant pas cautionner l'évolution du régime marocain.

 

Julien, Charles-André (1891-1991). L'Afrique du Nord en marche : nationalisme musulman et souveraineté française. Paris, Julliard, 1952.
Cote : H M afr 61 8°

 

A ces trois figures citées par Assia Djebar, il convient d'ajouter Frantz Fanon, auteur des Damnés de la terre publié en 1961 qu'Assia Djebar rencontre à Tunis en 1958 et avec qui elle travaille au journal El Moudjahid ainsi qu'Albert Memmi, écrivain et essayiste tunisien né en 1920 qui se fait connaître en 1957 lors de la publication de son essai Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, préfacé par Jean-Paul Sartre.

Romans.

En 1957, alors qu'elle est encore élève à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, Fatma Zohra Imalhayène publie un premier roman, La soif, aux éditions Julliard. Elle prend alors le pseudonyme d'ASSIA (« consolation » en arabe dialectal) et DJEBAR (« intransigeance » en arabe classique).
Suivent Les impatients en 1958, Les enfants du nouveau monde en 1962 et Les alouettes naïves en 1967.

Djebar, Assia (1936-2015). Les Enfants du nouveau monde. Paris, Union générale d'éditions, 1973. Ré-édition de l'édition originale parue chez Julliard en 1962.
Cote : L F r 2535 12°

 

 

 

 

 

 

 

Assia Djebar publie ce roman l'année même de l'indépendance de l 'Algérie mais aussi l'année où elle perd sa grand-mère maternelle, « cette orgueilleuse veuve qui dans sa belle maison de Césarée, trôna longtemps parmi les bourgeoises de l'antique cité – le plus souvent jouant le rôle de conseillère pour ces dames, elles dont toutes savaient qu'elle avait préféré se séparer de son dernier mari (mon grand-père, que je n'ai jamais connu) pour gérer elle-même ses biens, elle que toute petite, j'entendais, à l'automne, discuter d'une voix grave, dans une langue que je ne comprenais pas, dans l'une des pièces du bas, avec l'un ou l'autre de ses métayers descendus des collines pour lui faire le décompte de la récolte en figues sèches, en olives, etc. » (Assia Djebar. Nulle part dans la maison de mon père, p. 167).

Cette année-là, elle reçoit le prix France Culture pour son roman.

Après quatre premiers romans publiés entre  1957 et 1967 (La soif, Les impatients, Les enfants du nouveau monde, Les alouettes naïves), Assia Djebar ne publie plus jusqu'en 1980. A cette date, paraît un recueil de nouvelles écrites entre 1958 et 1979, Femmes d'Alger dans leur appartement. Au cours de cette période de silence littéraire, Assia Djebar a enseigné la littérature et le cinéma à l'université d'Alger et tourné en 1976 le film La Nouba des femmes du mont Chenoua.

« Ces nouvelles, quelques repères sur un trajet d'écoute, de 1958 à … à aujourd'hui, septembre 2001.
Conversations fragmentées, remémorées, reconstituées … Récits fictifs ou frôlants la réalité – des autres femmes ou de la mienne -, visages et murmures d'un imaginaire proche, d'un passé-présent se cabrant sous l'intrusion d'un avenir incertain, informel.
Je pourrais dire « nouvelles traduites de ... », mais de quelle langue ? De l'arabe ? D'un arabe populaire, ou d'un arabe féminin ; autant dire d'un arabe souterrain.
J'aurais pu écouter ces voix dans n'importe quelle langue non écrite, non enregistrée, transmise seulement par chaînes d'échos et de soupirs.
Son arabe, iranien, afghan, berbère ou bengali, pourquoi pas, mais toujours avec timbre féminin et lèvres proférant sous le masque.
Langue desquamée, de n'avoir jamais paru au soleil. D'avoir été quelquefois psalmodiée, déclamée, hurlée, théâtralisée, mais bouche et yeux toujours dans le noir.
Comment oeuvrer aujourd'hui en sourcière pour tant d'accents encore suspendus dans les silences du sérail d'hier ? Mots du corps voilé, langage à son tour qui si longtemps a pris le voile.
Voici donc une écoute où je tente de saisir les traces de quelques ruptures, à leur terme. Où je n'ai pu qu'approcher telle ou telle des voix qui se hasardent dans le défi des solitudes commençantes.
 » (Femmes d'Alger […], Ouverture, p. 7-8).

 

 

Présentation réalisée par Marie-Odile Illiano (juin 2015) et Hervé Sanson (février 2016).