| À la Renaissance, la découverte du texte d'Horapollon, puis les grands obélisques égyptiens que l'on commençait à exhumer à Rome avaient suscité l'intérêt des érudits pour la civilisation et la langue égyptiennes, les hiéroglyphes étant alors assimilés à une écriture symbolique réservée aux initiés. Au XVIIe siècle, le jésuite Athanasius Kircher avait eu l'intuition que le copte était l'héritier de l'ancien égyptien, mais la connaissance des hiéroglyphes n'avait guère avancé. Par ailleurs, depuis le XVIe siècle, les Capitulations signées entre le sultan ottoman et le roi de France ont permis aux commerçants français de s'établir dans les Échelles du Levant, et notamment au Caire et à Alexandrie. Par ce biais, des antiquités égyptiennes, statuettes, amulettes, sarcophages et momies, arrivent à Marseille et viennent enrichir les cabinets de curiosité français au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, l'engouement pour les objets égyptiens ne faiblissant pas. Au XVIIIe siècle, deux « antiquaires » français, qui seront cités tous deux dans la Description de l'Égypte, font paraître deux gros recueils incluant les antiquités égyptiennes. Auteur du premier traité de paléographie grecque, la Palaeographia graeca éditée en 1708, le père mauriste Bernard de Montfaucon a utilisé de nombreuses sources et collections pour publier en 1719 les dix volumes in-folio de son Antiquité expliquée et représentée en figures, suivis en 1722 de cinq volumes de supplément : dans son approche objets et monuments viennent compléter et illustrer la tradition écrite classique. La pratique du comte de Caylus, qui publie son Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines à partir de 1752, est très différente : lui-même grand collectionneur, il privilégie la matérialité des objets, leur structure et leur technique ; sa collection personnelle est un laboratoire, où les objets, une fois analysés et dessinés, sont sans cesse remplacés par d'autres. |
Anne Claude Philippe de Pestels de Lévis de Tubières-Grimoard, comte de Caylus, Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, Paris : Jean Desaint & Charles Saillant, 1752-1767 7 vol. ; in-4°. Gravures sur cuivre : planches, bandeaux, vignettes. Frontispice du vol. 7 : portrait du comte de Caylus, par Claude-Antoine Littret, dessinateur et graveur au burin (1735-1775). H AR gé 70 4° Reliure 18e s., veau fauve marbré. Vignette au titre du vol. 1 : Vue imaginaire du cabinet de curiosités du comte de Caylus : y sont représentés divers objets présents dans le Recueil, dont une statue égyptienne au centre. | |
Planche XII du t. 7 : la table isiaque.
La Mensa Isiaca, datée du Ier siècle après J. C., provient probablement du grand temple d’Isis de Rome. Cette table en bronze (123 cm de long, 74 cm de large et 7 cm d'épaisseur) est composée de 70 vignettes illustrant les mystères d'Isis : la déesse est représentée dans le naos au centre. Découverte après le Sac de Rome de 1527, la table est achetée par le cardinal Pietro Bembo (d'où son nom de Tabula Bembina). Passée dans les collections du duc de Mantoue, puis du duc de Savoie, elle est aujourd'hui conservée au Musée égyptien de Turin. C'était un monument très célèbre, que l'on retrouve également dans l'ouvrage de Montfaucon : dès 1605 l'historien Lorenzo Pignoria en avait fait une édition érudite.
| Planche X, fig. IV du t. I : l'ibis À la fin du XVIIIe siècle cet animal emblématique de l'Égypte était mal identifié et confondu avec d'autres espèces, aussi les naturalistes de l'Expédition ont-ils confronté les momies ou les représentations de cet oiseau avec leurs spécimens. La statuette ci-contre (aujourd'hui conservée à la Bibliothèque nationale de France) sera citée par Jules-César Savigny, dans son Histoire naturelle et mythologique de l'Ibis éditée en 1805. Mécène et protecteur des artistes, le comte de Caylus se consacra avec ferveur à l'étude des Anciens et grâce à un vaste réseau de correspondants, bibliothécaires et antiquaires, en France et en Italie, il rassembla une importante collection d'objets antiques : sa maison, et même son jardin, regorgent de vestiges achetés ou prêtés. Jusqu'à la mort de Caylus en 1765, le père Paciaudi, bibliothécaire et antiquaire du duc de Parme, joua un grand rôle dans la constitution de sa collection, choisissant pour lui des œuvres dignes d'intégrer son cabinet personnel, sujet d'étude de son Recueil d'antiquités égyptiennes, grecques, étrusques et romaines. Membre honoraire de l'Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres depuis 1742, Caylus y présente à un rythme soutenu des mémoires ainsi que des extraits de son œuvre majeure, le Recueil d'antiquités égyptiennes, grecques, étrusques et romaines. L'ouvrage est constituée d'une série de notices d'objets, classées selon l'ordre chronologique de leur acquisition. Devenu une référence pour les antiquaires et les archéologues, il a cependant un style et une forme qui le rendent moins accessible au grand public que l'Antiquité expliquée de Montfaucon. |
Quelques références bibliographiques :
- Irène Aghion, "Le comte de Caylus (1692-1765), gentilhomme et antiquaire" : http://caylus-recueil.tge-adonis.fr/spip.php?article5
- Marc Fumaroli , "Le comte de Caylus et l'Académie des Inscriptions", in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 139e année, N. 1, 1995, p. 225-250.
- Jean Irigoin, "Dom Bernard de Montfaucon", in L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et l'Académie des Beaux-Arts face au message de la Grèce ancienne. Actes du 6ème colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 6 & 7 Octobre 1995, Paris : Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1996, p. 71-85.
- Jean Leclant, "De l’égyptophilie à l'égyptologie : érudits, voyageurs, collectionneurs et mécènes", in Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 129e année, N. 4, 1985, p. 630-647.
- Alain Schnapp, "La méthode de Caylus" : http://caylus-recueil.tge-adonis.fr/spip.php?article9
>>> Consuls et voyageurs