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Dany Laferrière

Né à Port-au-Prince le 13 avril 1953, Dany Laferrière – de son vrai nom Windsor Klébert Laferrière – a passé son enfance avec sa grand-mère, un personnage marquant de son œuvre, à Petit-Goâve. Sa mère l'y envoie vers l'âge de 4 ans par crainte qu'il ne subisse des représailles de la part du régime en place en raison des idées politiques de son père, alors en exil, dont il porte les mêmes prénoms. Il fait ensuite ses études secondaires à Port-au-Prince puis devient chroniqueur culturel. À 23 ans, il quitte brutalement Haïti pour Montréal, après l'assassinat de son ami journaliste Gasner Raymond, craignant d'être lui aussi sur la liste des intellectuels visés par le pouvoir.

Il publie son premier roman au titre provocateur Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer en 1985 et connaît un succès immédiat. Il s'installe à Miami en 1990 puis à nouveau à Montréal en 2002 et publie plus d'une dizaine de romans qui constituent, selon lui, une véritable « autobiographie américaine ». Plusieurs de ses textes ont été repris pour le cinéma et il a lui-même réalisé Comment conquérir l'Amérique en une nuit, inspiré de son premier roman, en 2004.

Il obtient le prix Médicis en 2009 pour l'Énigme du retour. Présent en Haïti lors du séisme du 12 janvier 2010, il a décrit cette catastrophe dans Tout bouge autour de moi en 2011.


Bibliographie

  • Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, Montréal, VLB, 1985 [rééd. Paris, Le Serpent à plumes, 1999] - L F r 2370 8°
  • Eroshima, Montréal, VLB, 1987
  • L'odeur du café, Montréal, VLB, 1991
  • Le goût des jeunes filles, Montréal, VLB, 1992 [rééd. Paris, Grasset, 2005 et Paris, Gallimard, 2007]
  • Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?, Montréal, VLB, 2002 [Paris, le Serpent à plumes, 2002 et 2003]
  • Chronique de la dérive douce, Montréal, VLB, 1994 [rééd. Paris, Grasset, 2012]
  • Pays sans chapeau, Outremont, Lanctôt, 1996 [rééd. Paris, Le Serpent à plumes, 1999 et 2004]- L F r ???? 8°
  • La Chair du maître, Outremont, Lanctôt, 1997 [rééd. Paris, Le Serpent à plumes, 2000]
  • Le Charme des après-midi sans fin, Outremont, Lanctôt, 1997 [rééd. Paris, Le Serpent à plumes, 1999]- L F r 2385 8°
  • Le Cri des oiseaux fous, Paris, Le Serpent à plumes, 2000
  • J'écris comme je vis, entretien avec Bernard Magnier, Genouilleux, la Passe du vent, 2000
  • Je suis fatigué, Outremont, Lanctôt, 2001
  • L'odeur du café, Paris, Serpent à plumes, 2001
  • Les années 80 dans ma vieille Ford, Montréal, Mémoire d'Encrier, 2005
  • Vers le sud, Paris, Grasset, 2006
  • Je suis un écrivain japonais, Paris, Grasset, 2008
  • L'énigme du retour, Paris, Grasset, 2009 [rééd. Paris, Librairie générale française, 2010] - L F r 2386 8°
  • La fête des morts, avec des illustrations de Frédéric Normandin, Longueuil, Éditions de la Bagnole, 2010
  • Je suis fou de Vava, avec des illustrations de Frédéric Normandin, Longueuil, Éditions de la Bagnole, 2010
  • Tout bouge autour de moi, Paris, Grasset, 2010 - L F r 2387 8°
  • L'art presque perdu de ne rien faire, Montréal, Boréal, 2011

Extrait

" C'est une guerre tenace entre le temps et l'espace. L'espace policier permet de t'identifier (Tu viens d'où, toi ?). Le temps cannibale te dévore cru. Né dans la Caraïbe, je deviens automatiquement un écrivain caribéen. La librairie, la bibliothèque et l'université se sont dépêchées de m'épingler ainsi. Être un écrivain et un Caribéen ne fait pas de moi forcément un écrivain caribéen. Pourquoi veut-on toujours mélanger les choses ? En fait, je ne me sens pas plus caribéen qu'un Proust qui a passé sa vie couché. J'ai passé mon enfance à courir. […]

Je croyais fermement à l'époque, que les écrivains formaient une race bannie qui passaient leur temps à errer à travers le monde en racontant des histoires dans toutes les langues. C'était leur peine pour un crime innommable. Hugo et Tolstoï étaient des forçats. Car je ne voyais aucune autre explication pour écrire des romans aussi volumineux que je dévorais la nuit en cachette. Je les imaginais avec des chaînes aux pieds, assis à côté d'un énorme encrier taillé dans le roc. D'où ma réticence à écrire plus tard des bouquins épais. Je ne voudrais pas effrayer les enfants. Je suis étonné de constater l'attention qu'on accorde à l'origine de l'écrivain. Car pour moi, Mishima était mon voisin. Je rapatriais, sans y prendre garde, tous les écrivains que je lisais à l'époque. Tous. Flaubert. Goethe, Whitman, Shakespeare, Lope de Vega, Cervantès, Kipling, Senghor, Césaire, Roumain, Amado, Diderot, tous vivaient dans le même village que moi. Sinon, que faisaient-ils dans ma chambre ? Quand, des années plus tard, je suis devenu moi-même écrivain et qu'on me fit la question : « Êtes-vous un écrivain haïtien, caribéen ou francophone ? », je répondis que je prenais la nationalité de mon lecteur. Ce qui veut dire que quand un japonais me lit, je deviens immédiatement un écrivain japonais."


Dany Laferrière, extrait de Je suis un écrivain japonais, Grasset, Paris, 2008 cité dans Louis-Philippe d'Alembert et Lyonel Trouillot (dir.), Haïti, une traversée littéraire, Presses nationale d'Haïti, Culturesfrances éditions, Philippe Rey, p. 123-125