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« J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute au milieu des livres » (Les Mots)

Dans Les Mots, Jean-Paul Sartre décrit avec minutie ses premiers contacts d’enfant avec les livres et les pratiques de lectures, ou d’écriture, des adultes qui l’entourent. Si les livres acquièrent vite une dimension sacrée aux yeux de l’enfant, c’est par le biais des relations qui se tissent entre eux et les adultes, relations qu’il contemple avec fascination.

Livres lus et écrits par le grand-père d’abord, que Sartre observe dans son bureau. Charles Schweitzer est présenté comme l’incarnation vivante de la science et de la culture d’une certaine élite bourgeoise. Il possède de fait plusieurs titres pour prétendre au rôle : professeur d’allemand, donc maître de la langue dans laquelle s’écrit le savoir moderne au début du XXe siècle ; auteur de manuels et d’une thèse érudite sur le poète Hans Sachs, produit typique de l’université française rénovée ; Alsacien ayant choisi la France et la langue française, ce qui vient l’auréoler de la gloire du martyr dans la France d’avant 1914. « Sentinelle de la culture », il est auprès de Sartre le grand initiateur, celui qui fait du jeune enfant un futur clerc des Belles-Lettres et de sa bibliothèque un Temple.


   
Si l’on en croit Les Mots, son rapport à la littérature n’est pourtant pas dénué d’ambiguïté, mêlant respect pour les « grands auteurs » d’Homère à Hugo, mais aussi méfiance bourgeoise à l’égard de la figure de l’écrivain et ne s’intéressant guère à la production contemporaine (après Hugo !). La littérature a surtout pour lui une fonction utilitaire, point d’appui textuel pour ses cours de langue. Le modèle qu’il cherchera finalement à transmettre à son petit-fils est le professorat des Belles-Lettres, une forme terne d’érudition désenchantée, qui servira à la fois de projet d’avenir professionnel mais aussi de repoussoir pour le jeune Sartre.

La pratique de la lecture de la grand-mère est présentée dans Les Mots comme un contre-pied féminin à la culture noble et masculine du grand-père. Louise Schweitzer lit, à l’abri des regards, des romans qu’elle emprunte dans des cabinets de lecture : romans d’amour ou récits de femmes émancipées écrits par des auteurs à la mode que le grand-père méprise. Brèche ouverte pour le jeune Sartre dans la culture officielle et autorisée ? La question mérite d’être posée.

Sartre reçoit enfin en héritage des livres lus et annotés par son père qu’il n’a pas eu le temps de connaître. Héritage dont il ne se saisit guère puisqu’il dit avoir vendu ces livres. Parmi les deux ouvrages cités, la bibliothèque possède celui de Louis Weber, Vers le positivisme absolu par l’idéalisme (Paris, Alcan, 1903) qui porte un envoi manuscrit de l’auteur à Léon Brunschvicg. Cette dédicace sonne comme un écho lointain au jugement lapidaire de Sartre sur les lectures de son père : « il avait de mauvaises lectures, comme tous ses contemporains ».

Charles Schweitzer, Deutsches Lesebuch für ältere Anfänger,
Paris : A. Colin, 1910.
Prêt de la Bibliothèque Diderot de Lyon.

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