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Les années d'enfance


    
Avant même de savoir lire, Jean-Paul Sartre veut posséder ses propres livres. Très vite, il ne se contente plus d’entendre sa mère lui faire la lecture. Réel succès de l’enfant surdoué ou vantardise de l’homme mûr qui réinvente sa propre enfance ? Jean-Paul Sartre affirme avoir appris à lire en feuilletant les pages de Sans famille, d’Hector Malot. Dès lors, il fuit le monde réel, ce « banal cimetière » qu’est la vie quotidienne des Schweitzer pour retrouver « la vie, la folie dans les livres ». Les volumes de la bibliothèque – des classiques de France et d’Allemagne, des grammaires, le Grand Larousse - sont des poupées, les auteurs célèbres, de futurs égaux. A six ans, son grand-père le pousse à écrire un mot à Georges Courteline, mot qui restera sans réponse.

Grâce à sa mère, cependant, le jeune Sartre entame de « vraies » lectures d’enfant : contes réunis par Maurice Bouchor, contes de fées en petits livrets roses, puis feuilletons hebdomadaires, ouvrages de la collection Hetzel, qu’il adorait. Avec Michel Strogoff, de Jules Verne, ou la lecture quotidienne de Pardaillan, de Michel Zévaco, dans le journal Le Matin, mais aussi avec le cinéma, une passion partagée avec Anne-Marie, Sartre découvre le pouvoir de l’imagination. Il se délecte des aventures des héros américains, Nick Carter et Buffalo Bill, et des fascicules achetés avec sa mère auprès des bouquinistes du bord de Seine. Dès l’âge de sept ans, il déverse dans ses premiers récits le curieux mélange de ses lectures hétéroclites.

 
L’enfant solitaire et rejeté si bien décrit dans Les Mots s’est-il réellement, dès cette époque, perçu comme voué à devenir écrivain, contre l’avis d’un grand-père qui le destinait à l’École normale supérieure, puis, comme lui, au professorat de lettres ?
La réalité semble plus complexe. L’analyse précise des lectures et des souvenirs de lectures d’enfance de Sartre, conduite par Philippe Lejeune, montre que l’éviction de certains textes, tels Monsieur le vent et Madame la pluie, et de certains souvenirs, mentionnés dans les états antérieurs du manuscrit, éléments pourtant essentiels pour comprendre son désir d’écrire, vise à construire un mythe sartrien, celui du génie méconnu par son propre entourage.

Hector Malot, Sans famille,
Paris : Hetzel, [s.d.]
(Collection J. Hetzel et cie).
L D 10 (19) 4°.

Paul de Musset, Monsieur le vent et Madame la Pluie,
Paris, Hetzel, 1846.
Prêt de la Bibliothèque Diderot de Lyon.