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Kettly Mars

Kettly Pierre Mars est née le 3 septembre 1958. Après des études classiques, elle se forme aux métiers de l'administration et travaille pendant plusieurs années à l'ambassade du Japon en Haïti. Elle commence à écrire et à publier des poèmes au début des années 1990 et se lance ensuite dans l'écriture de nouvelles et de romans. En 1996, elle reçoit le prix Jacques-Stephen Alexis de la nouvelle pour Soleils contraires puis, en 2006, le prix Léopold Sédar Senghor de la création littéraire pour son roman L'Heure hybride. En 2011, elle reçoit le prix Prince Claus de littérature pour l'ensemble de son œuvre.

Ses ouvrages sont un éloge à la sensualité et à l'amour, tout en manifestant une attention particulière au quotidien ainsi qu'à la détresse d'une société haitienne dévastée et toujours en quête d'identité. Kettly Mars interroge également avec insistance la question des violences faites aux femmes, comme dans son roman Saisons sauvages, publié en 2010, qui met aux prises une femme et un secrétaire d'État sous la dictature de François Duvalier.


Bibliographie

  • Feu de miel, Haïti, Imprimeur II, 1997
  • Un parfum d'encens, Haïti, Imprimeur II, 1999
  • L'heure hybride, La Roque-d'Anthéron, Vents d'ailleurs, 2005
  • Kasalé, La Roque-d'Anthéron, Vents d'ailleurs, 2007 - L F r 2378 8°
  • Kool-Klub, Port-au-Prince, Imprimeur II, 2007
  • Fado, Paris, Mercure de France, 2008 - L F r 2377 8°
  • Saisons sauvages, Paris, Mercure de France, 2010 - L F r 2376 8°
  • Le prince noir de Lillian Russell, avec Leslie Péan, Paris, Mercure de France, 2011





Extrait

" – Mais dis-moi, ajoute Arlette s'adressant à moi, qui fait asphalter la rue?

– Le ministère des Travaux publics...

Je sais que ma belle-sœur ne va pas se satisfaire de cette explication.

Ça, je l'ai compris, chérie. Je veux plutôt savoir qui est le gros zouzoune qui vient d'emménager dans ta rue. Depuis le temps que Daniel se bat pour vivre dans un environnement plus sain... perdant son temps à écrire des lettres au secrétaire d'État machin et à faire signer des pétitions dans le quartier... quelle ironie que cela arrive alors qu'il est en prison. À croire qu'on attendait de le foutre en taule pour couvrir de bitume cette foutue rue! Alors c'est qui, Nirvah?

– Daniel trouvera la rue asphaltée quand il reviendra commente Sylvie avec philosophie ». Le soupir qui ponctue sa phrase trahit toutefois son doute et son angoisse.

« Le retour de Daniel, hmmm... c'est une autre histoire, Sylvie. » Arlette se penche pour écraser sa cigarette dans le cendrier. L'ongle de son index droit taché de nicotine brille comme de l'ambre. « Nirvah, tu ne m'as toujours pas dit pour qui on asphalte la rue.

– Je l'ignore, Arlette. Je ne suis pas tout à fait sûre, mais apparemment il n'y a pas de nouveaux résidents dans le quartier. Peut-être qu'un personnage important a fait l'acquisition des deux terrains qui restent, avant le carrefour. Mais, quel que soit le motif qui a fait ouvrir ce chantier, je ne vais pas m'en plaindre, crois-moi. Cette poussière allait finir par me rendre folle.

Même si on le fait pour un chef macoute, un de ces gros porcs noirs avec des lunettes noires? Cela ne te dérangeait-il pas d'avoir un VSN* comme voisin? Dis, tu t'en foutrais, Nirvah? »

Le sourire d'Arlette est aussi vicieux que ses mots. Je regarde alentour pour vérifier si Auguste ne nous écoute pas. Est-ce qu'elle sait que le secrétaire d'État m'a visitée? La nouvelle est-elle arrivée si vite jusqu'à la famille Leroy? Non...non, probablement pas, je crois plutôt qu'Arlette se contente d'être elle-même.

« Des macoutes, il y en a de tous épidermes, Arlette. Mulâtres, grimauds, griffes, marabouts, noirs, très noirs... Le pouvoir n'a pas de couleur ni de tour de taille.

– Tiens, tiens! Tu les connais donc si bien? Compliments, ma chère. Moi, je n'ai malheureusement pas le privilège de fréquenter des macoutes. Mais... je ne comprends pas qu'avec de telles relations de sa femme Daniel soit encore en prison... »

Arlette persifle et j'ai envie de la gifler. Je ne sais que penser. A-t-elle eu vent de ma visite chez le secrétaire d'État ou de sa venue ici? J'ai peur, mais je ne vais pas me laisser démonter par ma belle-sœur. "


*VSN: Volontaires de la sécurité nationale


Kettly Mars, extrait de Saisons sauvages, Mercure de France, Paris, 2010, p. 68-70