René Depestre est né en 1926 en Haïti, dans la ville de Jacmel. Il a fait ses études dans les meilleures écoles d'Haïti. En 1945, avec d'autres jeunes intellectuels engagés, il fonde la revue littéraire la Ruche et publie son premier recueil de poèmes, Étincelles, qui le font connaître comme un poète de la révolution et un opposant au régime en place. Étudiant, il participe au mouvement révolutionnaire de 1946 qui aboutit au renversement du gouvernement d’Élie Lescot mais la prise du pouvoir par les militaires le contraint à partir en exil en France. Il poursuit des études de lettres et de sciences politiques à la Sorbonne. À Paris, il fréquente les poètes surréalistes français et des artistes étrangers, ainsi que certains intellectuels du mouvement de la négritude. Très lié aux mouvements révolutionnaires de la décolonisation, René Depestre voyage dans le monde entier: Union soviétique, Chine, Brésil, Argentine, Chili et surtout Cuba, en 1959, à l'invitation de Che Guevara. Écarté par le pouvoir castriste dès 1971, Depestre rompt avec l'expérience cubaine en 1978 et retourne à Paris où il travaille au Secrétariat de l'Unesco jusqu'en 1986. Il obtient le prix Renaudot en 1988 avec Hadriana dans tous mes rêves.
Poésie :
Romans / Nouvelles / Essais :
Quand la sueur de l'indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sange indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul indien aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si les chimistes ne pensèrent
Aux moyens d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
À des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l'extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
À travers la riche végétation de clarté de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des pièces d'or
Dans le noir métal de ta colère crue
René Depestre, « Minerai noir » [1956], repris dans Journal d'un animal marin, Choix de poèmes 1956-1990, Gallimard, Paris, p. 21