Écrire : Une Défaite
Une Défaite est le premier roman écrit en 1927, alors que Sartre est élève en quatrième année à l'École normale supérieure.
Longtemps avant celui qui se penchera en 1953 sur son enfance dans Les Mots, par ce texte, le jeune Sartre pose les bases implicites d'une autobiographie. Avec Une Défaite, il réalise une synthèse entre ce qui le constitue déjà (enfance, histoire familiale et personnelle) et ce qu'il apprend et construit depuis le lycée Henri IV, élaborant des pistes de réflexion, qu'il n'aura de cesse d'approfondir.
Si Sartre se met en scène sous les traits de Frédéric, répétiteur normalien employé comme précepteur (clin d'oeil à Stendhal) des fillettes de Cosima, épouse de Richard Organte, c'est Simone Jollivet, son amoureuse du moment, qui incarne ce personnage féminin.
Les prénoms des protagonistes reprennent une situation triangulaire comparable, connue comme l'« Idylle de Tribschen » entre Richard Wagner, Cosima son épouse et Frédéric Nietzsche. C'est sur cette « triade » que Sartre dit avoir fondé son roman, prétexte à tisser son propre récit, en explorant l'imbrication et l'ambigüité de ce double lien, intellectuel avec Organte et sentimental avec Cosima. Fiction et réalité se rejoignent avec Cosima Wagner et la correspondance qu'elle échangea avec Albert Schweitzer, cousin d'Anne-Marie, la mère de Sartre.
 | | La genèse bibliographique d'Une Défaite trouve en partie ses sources dans les registres d'emprunts de la Bibliothèque des Lettres, attestant de l'intérêt de Sartre pour le maître de Bayreuth : le 7 juin 1926, il emprunta Ma Vie et Souvenirs de Wagner. Quant à Nietzsche, Sartre emprunta ses écrits le 15 mai 1926. Un ouvrage sur Rembrandt (un livre sur le peintre figurait dans la bibliothèque de Charles Schweitzer, son grand père) est emprunté le 24 juin. Nous pouvons imaginer que le portrait de l'artiste dans la force de l'âge avec Saskia sa jeune épouse, l'a inspiré pour son couple Organte-Cosima (cf planche XIX). Autre fil autobiographique, celui du conte, cheminant entre les pages d'Une Défaite, comme un lien intime entre Frédéric et Cosima. C'est « Le Chasseur d'âme » sorti tout droit de l'imagination de Frédéric pour le plaisir de ses deux élèves, mais aussi destiné à charmer leur mère, Cosima, femme-enfant trouvant refuge dans un monde irréel en se contant des histoires féériques. Avec Les Mots, Sartre nous révèle comment, réminiscence de l'enfance, la lecture de Maurice Bouchor et les récits de contes de fées le ramenaient au lien de grande complicité avec sa mère. Pour Sartre, le conte aurait-il alors le pouvoir d'un philtre de séduction, avec Anne-Marie sa mère et puis avec Simone Jollivet, la femme à séduire ? Maurice Bouchor, Contes, t. I, |