Une leçon de Fustel de Coulanges
Numa Denis Fustel de Coulanges,
Cours d'histoire grecque. École normale supérieure, première année, 1876-1877.
Notes prises par Émile Groussard.
Ms 4
Reliure 19e s., toile verte, pièce de titre rouge.
[voir la notice dans CALAMES]
[voir la p. 93 du manuscrit]
Le cours d'histoire grecque de Fustel de Coulanges de 1876 a été conservé grâce aux notes prises simultanément par deux élèves : Émile Groussard et Salomon Reinach. Le manuscrit Groussard est conservé à la Bibliothèque de l'Ecole normale supérieure sous la cote ms 4, tandis que les notes de Reinach se trouvent à la Maison de l'Orient et de la Méditerranée de Lyon.
Dans le manuscrit Groussard la retranscription du cours se déploie, de manière continue, sur les pages d'un cahier. Mais elle s'interrompt brutalement à la page 203, au terme de la « treizième rédaction », ce qui correspond à la « seizième leçon » de Reinach. Chaque rédaction, qui peut rassembler plusieurs cours, est un chapitre d’une histoire de la Grèce ancienne. Le texte est d'une écriture très soignée. Il n'est émaillé d'aucune abréviation. Ce n'est pas une transcription brute, mais la remise en forme d'un matériau recueilli séparément. Le cahier a été relu et annoté par une autre main, celle de Fustel de Coulanges, semble-t-il. Reinach restitue la vie de la classe, en faisant entendre le maître et ses élèves. S’attachant à l’immédiat, pressé par le flux des paroles, il se trouve obligé d’abréger. Groussard procède de manière inverse. Il élimine toutes les interventions de ses camarades et cherche à restituer le tour exact des phrases prononcées par Fustel. C'est une sténographie recomposée.
Une partie du cours, les leçons sur Sparte, a été publiée par Hervé Duchêne en janvier 2013 aux Éditions de l'EHESS [H A gr 30 C 12°].
Fustel de Coulanges Né à Paris, le 18 mars 1830, Numa-Denis Fustel de Coulanges entre à l'École normale le 1er novembre 1850. Trois ans plus tard, il est membre de l'École d'Athènes. A son retour en France, en octobre 1855, il est professeur au Lycée d'Amiens, puis en 1858 au lycée Saint-Louis. Agrégé des lettres en 1857, il soutient en 1858 ses thèses : Polybe ou la Grèce conquise par les Romains et Quid Vestae cultus in institutis veterum privatis publicisque valuerit ? [Thèse 356]. Nommé en octobre 1860 à la Faculté des lettres de Strasbourg — son premier poste universitaire —, Fustel de Coulanges est, depuis février 1870, maître de conférences d'histoire ancienne, rue d'Ulm. Au moment des Leçons sur Sparte, il vient d’être élu à l'Académie des Sciences politiques et morales. Onze ans après La Cité antique qui l'a fait connaître en 1864 [H A gé 19 A 8° : édition de 1866], il a publié en 1875 le premier tome de l'Histoire des institutions politiques de l'ancienne France [H F omc 28 8º] et des articles sur le régime féodal. À l’École normale, l'enseignement de Fustel est sans rapport avec ses intérêts de chercheur. Loin de la question des origines nationales, il donne — au cours de l'année universitaire 1876-1877 — un cours d'histoire grecque, qui prépare en histoire ancienne les élèves littéraires de première année. Parallèlement, il enseigne l'histoire romaine en Sorbonne, où il est nommé professeur en 1878. A la mort d'Ernest Bersot, il deviendra, le 17 février 1880, directeur de l'École ; pour raison de santé, il quittera son poste en 1883. | | |
Portrait de Fustel : cl. Pirou Le Centenaire de l'Ecole normale, p. 324 |
Émile Groussard (1856-1904)
Né à Rochefort où il est mort à moins de cinquante ans, Émile Groussard a grandi, en n'ayant, selon son ami Henri Brelet, comme distraction que de suivre « les états divers d'un océan variable et d'un ciel changeant ». Cet adolescent un peu timide suivra les volontés de son père en passant sa Licence à Poitiers et un examen de droit. Après une année au Lycée Louis-Le Grand, il entre rue d'Ulm en 1876 ; il a vingt ans. Grand et fort, « enveloppé de sa longue robe de chambre », il est dans l'argot des normaliens « Le Père ».
Envoyé à sa sortie de l'École par Bersot au lycée de Limoges, il sera professeur à Bordeaux, puis à Angoulême, avant de rejoindre le lycée Janson de Sailly en 1895. Dès 1881, ce membre de l'Association pour l'encouragement des études grecques publia chez Delagrave son seul ouvrage, une édition de l'Alceste d'Euripide. L'homme, outre son goût pour la Grèce, aimait collectionner les livres. Sa bibliothèque, près de trois mille volumes, a été léguée à sa ville natale par sa mère, Anne Iphigénie Chénieux.
Salomon Reinach (1858-1932)
Salomon Reinach fut agrégé, membre de l'École française d'Athènes et... normalien. Il entre à l'École cacique en novembre 1876. Pendant l'été, il traduisit l'Essai sur le libre-arbitre de Schopenhauer, un livre qui fit connaître, pour la première fois, le philosophe en français. Rue d'Ulm, sans se détourner des études philosophiques - il étudia de près les Pensées de Pascal - Reinach prépara un Manuel de Philologie, ce qui était, dans son esprit, une manière de se consacrer à l'ensemble des sciences humaines.
Conservateur du Musée de Saint-Germain-en-Laye, directeur de la Revue archéologique pendant plus de trente ans, il fut l'auteur de deux best-sellers : Apollo, une histoire des arts et Orpheus, un traité sur les religions. Engagé dans le combat dreyfusard, prêt à combattre toutes les injustices et soucieux de voir les femmes jouer un rôle intellectuel de premier plan, le savant fut un spécialiste des terres cuites de la nécropole de Myrina, un grand fouilleur de Délos et l'initiateur de la reprise des travaux à Alésia en 1905.
Texte d'Hervé Duchêne, Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier.
Présentation réalisée par Françoise Dauphragne - mars 2013.