Ulm - Lettres et Sciences humaines
Patrimoine > Le Livre du mois > février 2015 : Jean Jaurès à l'Ecole normale supérieure

Jean Jaurès à l'École normale supérieure (1878 L)

Dans le cadre du Livre du mois, la Bibliothèque des Lettres et Sciences humaines rend un hommage à Jean Jaurès, faisant écho à l'inauguration, le 18 décembre dernier, de la salle éponyme de l’École normale, qui avait été l'occasion d'une série d'échanges autour de cette personnalité. La Bibliothèque a choisi de présenter à ses lecteurs les traces du passage de ce normalien brillant, philosophe, historien, puis journaliste et parlementaire, un des pères du socialisme.

C'est dans un des établissements secondaires les plus vieux de France, réputé pour être un des meilleurs dans les concours académiques, que Jean Jaurès initie sa formation : le collège de Castres. En 1877, il est Premier prix de version latine, dont il a appris les rudiments auprès de l'Abbé Rémy Séjal : passionné par la civilisation grecque, il en traduira plus tard les plus grands auteurs. Repéré par l'Inspecteur général pour ses aptitudes intellectuelles, J. Jaurès réussit à obtenir une bourse pour poursuivre ses études supérieures au Collège Sainte-Barbe puis au Lycée Louis-le-Grand, où il se distingue par son éloquence, notamment par le premier prix qu'il remporte à la  composition en discours français du Concours général (1878).
Il prépare alors le concours de l’École normale supérieure en 1878 : il y est le cacique de sa promotion, en philosophie, devançant son camarade, H. Bergson. Le registre d'emprunts de la Bibliothèque pour l'année 1880-1881 montre les intérêts d'un élève dont les lectures étaient orientées vers les auteurs antiques et modernes, et les philosophes : il en avait déjà étudié leur conception « politique » de la cité. Parallèlement à la philosophie, Jaurès se passionne pour l’histoire de France, en particulier pour l’histoire républicaine. En 1881, il est reçu troisième à l'agrégation de philosophie, cette fois derrière H. Bergson et Paul Lesbazeilles. Jean Jaurès semble alors destiné à une carrière d'enseignant : au Lycée Lapérouse d'Albi, il enseigne la philosophie de 1881 à 1883 ; puis il est nommé maître de conférence à la Faculté des Lettres de Toulouse en 1882, où il donne également des cours de psychologie au lycée de jeune filles de la ville. Pour Jaurès, ses années normaliennes semblent avoir été une préparation au journalisme et à la politique, sur les sentiers de laquelle il s'engage dès 1885, à l'âge de 25 ans. Il est candidat à Toulouse aux élections législatives et est élu député républicain. Inspiré par les œuvres de Jules Ferry et de Léon Gambetta, on remarque J. Jaurès pour ses propositions de réformes sociales. Quatre ans plus tard, il se représente, mais n'est pas réélu : il reprend son activité d'enseignant à Toulouse, la même ville où il se présentera sur les listes municipales socialistes, et où il sera conseiller municipal, puis maire adjoint (1890-1893). Il reprend alors ses travaux intellectuels et entreprend ses deux thèses, soutenues en 1892, intitulées De la réalité du monde sensible (thèse principale) et Des origines du socialisme allemand chez Luther, Kant, Fichte et Hegel (thèse secondaire, soutenue en latin).


Fonds photographique de la Bibliothèque de LSHS de l’École normale – cote : PHO D/1/1878/5 et PHO D/2/1878/4


Photographies de promotion de Jean Jaurès – 1878 Lettres, conscrits. Photographe Pierre Petit, Paris, 1878.
1 photogr. pos. : n. et b. ; 20,5 x 28 cm (reproduction)
1 photogr. pos. : n. et b. ; 18,5 x 24,5 cm, 33,5 x 44 cm (support)

La photographie est détendue et peu conventionnelle : dans un esprit normalien assumé de plaisanterie, H. Bergson apparaît en chaussons (PHO D/1/1878/5), Émile Durkheim prend la pause, alors qu'il n'intégrera l’École normale que l'année suivante. On y reconnaît ses camarades de promotions Leune, F.  Martin, Ch. Salomon, Mellerio, Cointe, Dez, Puech, Desjardins, Monceaux, David-Sauvageot, Jeanroy, Pfister, Lemercier, Dorison, Cuvillier, E. Moreau-Nélaton, A. Belot, H. Bergson, A.Veyries, Ch. Diehl, P. Morillot et J. Jaurès lui-même. 



La salle historique de la Bibliothèque des Lettres. Gravure de L. Berteault, 1895. Fonds photographique de la Bibliothèque de LSHS de l’École normale – en cours de cotation.

À cette même période, il se lie d'amitié avec Lucien Herr qui influence, sans aucun doute, son implication dans la défense de la cause ouvrière, lui-même spécialiste du socialisme allemand. La fonction de L. Herr à la direction de la Bibliothèque de l’École normale (de la fin de ses études en 1888 jusqu'à la fin de sa vie) est emblématique : une culture générale exemplaire, une connaissance de l'état de l'art pour chaque champ disciplinaire, une maîtrise des langues qui ont fait de cet homme, dont la salle historique de la Bibliothèque garde un vif souvenir, un véritable passeur des idées liées au socialisme et aux droits de l'Homme auprès du public normalien dont il orientait les recherches.


Jaurès, Jean, Action socialiste. 1. Le Socialisme et l'enseignement, le socialisme et les peuples, Paris, G. Bellais, 1899, 557 p. L'exemplaire conservé à la Bibliothèque porte un cachet « Bibliothèque de Célestin Bouglé. 1870-1940 ». Il porte également un envoi manuscrit de Jean Jaurès à Paul Dupuy : « À Dupuy. Amical souvenir, Jean Jaurès ». Bibliothèque LSHS – cote : S G ép 5161 8°

Puis, l'Histoire que nous connaissons : la vie politique de Jaurès s'accélère cette même année 1892, quand éclate la grève des mineurs de Carmaux, alors qu'il est à l'écart de la vie politique nationale. Il soutient le mouvement, dénonce une classe dirigeante qui néglige le droit des ouvriers. C'est à cette même époque que Jaurès s'engage dans le socialisme, cet homme-même qui était issu d'une classe bourgeoise intellectuelle, déclassée, puis républicain social et enfin défenseur du concept de la lutte des classes. Son implication est telle qu'en 1893, les ouvriers du bassin minier le choisissent pour les représenter à la Chambre : il y sera élu le 23 janvier. En 1898, il est battu aux élections. Démarre alors sa carrière de leader socialiste du pays, dont il se fait la plume, notamment par son engagement dans le journalisme. Il codirige le journal La Petite République et rédige les volumes consacrés à la Révolution française dans la colossale Histoire socialiste de la France contemporaine qu'il dirige (éd. Rouff, 1901-1908). En 1902, il participe à la fondation du Parti socialiste français, dont il est un membre actif. Deux ans plus tard, il fonde et dirige jusqu'à sa mort, le journal l'Humanité. Son engagement politique s'affirme plus nettement lorsqu'il administre, avec Jules Guesde, la Section française de l'internationale ouvrière. Affirmé comme internationaliste, il est inquiet de la montée des nationalismes à la veille du premier conflit mondial et tente d'influencer les décisions du gouvernement en faveur d'un pacifisme international. Haï par les nationalistes, J. Jaurès est assassiné le 31 juillet 1914, au Café du Croissant de la rue Montmartre.

Très tôt, l’École normale s'est enorgueillie d'avoir vu grandir en son sein une grande figure de la vie politique française. Le 24 novembre 1924, la promotion 1923 posait devant l'entrée du 45 de la rue d'Ulm, avant de se rendre en cortège à la cérémonie solennelle de translation des cendres de Jean Jaurès au Panthéon.

Extrait du trombinoscope de la promotion de 1923. Fonds photographique de la Bibliothèque de LSHS de l’École normale – cote : PHO D/2/1923/1

Présentation réalisée par Sandrine Iraci - Février 2015