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Le plus ancien incunable du fonds de la Bibliothèque : le Traité sur l'éducation du Pape Pie II : De educatione puerorum ad regem Bohemiae Ladislaum (1472)



Pape Pie II (1405-1464), De educatione puerorum ad regem Bohemiae Ladislaum. Tractatulus per Eneam Silvium editus ad regem Bohemie Ladislaum, Cologne, Ulrich Zell, 1 vol.,  44 feuillets, 1472.

Notre exemplaire : S G ip 484 B 8° 
Don d'Edmond-Paul Dreyfus-Brissac (1850-1921) à  la Bibliothèque de Lettres.
Reliure 18e s., maroquin rouge, décor doré à encadrement et "à dentelle", roulette dorée sur coupe, tranches dorées, gardes de papier caillouté. Exemplaire rubriqué. Notice bibliographique manuscrite en néerlandais, datée de "Haarlem den 28 Maart 1775".



Figure parmi les plus intéressantes et contradictoires du premier humanisme intellectuel, poète, historien, diplomate, Enea Silvio Piccolomini (1405-1464) participe au concile de Bâle comme orateur et secrétaire. Mais il compose en même temps quelques ouvrages érotiques comme le De Remedio amoris et surtout son De duobus amantibus Euryalo et Lucretia qui connut un énorme succès jusqu’à la fin du XVIe siècle. Venant juste d’être couronné poète lauréat de l’Empereur Frédéric III en 1442, Piccolomini est atteint d’une grave maladie, se détourne de sa vie dissolue et prend les ordres en 1445. Nommé rapidement évêque de Trieste puis de Sienne, il mène une carrière de diplomate en Autriche et en Bohême au service du pape Nicolas V, avant de ceindre lui-même la tiare pontificale en 1458, un peu à la surprise générale, sous le nom de Pie II.
C’est quand il était en Autriche qu’il écrivit en 1450 pour le jeune Ladislas de Habsbourg, roi de Hongrie et de Bohême alors âgé de 10 ans, ce traité sur l’éducation des enfants.  Sous forme d’une longue lettre adressée au jeune prince, il construit dans cette longue lettre un programme éducatif complet inspiré de Plutarque et de Quintilien où il insiste sur le thème de l’harmonieuse connexion des activités physiques comme l’équitation, la course, le saut, la chasse et la nage avec celles de l’esprit comme la littérature et la philophie. Mais s’adressant à un futur monarque, Piccolomini met l’accent sur la nécessité de maîtriser parfaitement le langage et la rhétorique, vecteurs essentiels de la communication du prince avec ses sujets. De fait ce Tractatulus peut être considéré autant comme un programme politique que comme un traité pédagogique s’inscrivant pleinement dans la tradition humaniste.

On ne sait si l’ouvrage connut un grand retentissement à l’époque. La seule édition ancienne qu’on en connaisse est celle-ci, imprimée plus de 6 ans après la mort de Piccolomini par le grand imprimeur de Cologne Ulrich Zell qui avait appris la technique de la typographie à Mayence, dans l’atelier de Johann Fust et Peter Schöffer, les associés et successeurs de Gutenberg. A propos de ce dernier il est intéressant de relever que Piccolomini fut le premier à avoir évoqué en mars 1455 dans une lettre au cardinal Carvajal la fameuse Bible à 42 lignes dont il avait vu six mois plus tôt quelques cahiers de présentation à la diète de Francfort.

Ce traité ne fut redécouvert qu’au XXe siècle par les historiens de la pédagogie. Au reste il n’est pas indifférent de constater que l’exemplaire présenté ici, dans sa reliure hollandaise en maroquin rouge à décor doré exécutée au XVIIIe siècle, a été légué à l’E.N.S. par Edmond-Paul Dreyfus-Brisac (1850-1921), spécialiste de la pédagogie et de l’histoire de l’éducation, qui fut un généreux donateur de l’École.

Dominique Coq
Conservateur général honoraire des bibliothèques

Présentation réalisée par Sandrine Iraci - Novembre 2014