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Le guide de Paris de Germain Brice

Germain Brice
Description de la ville de Paris et de tout ce qu'elle contient de plus remarquable...
Nouvelle édition. Enrichie d'un nouveau plan & de nouvelles figures dessinées & gravées correctement...

Paris : Libraires associés, 1752 (De l'imprimerie de J. Bullot). 4 vol. ; 12°

Il s'agit de la neuvième et dernière édition de ce guide (privilège du roi du 22 janvier 1752, approbation du 16 octobre 1751), avec des additions de Pierre-Jean Mariette et de l abbé Pérau.

[voir la notice dans le catalogue]


L'ouvrage contient 49 gravures sur cuivre, dont le plan de la ville de Paris (ci-dessus). Les bandeaux, lettrines et culs-de-lampe sont gravés sur bois. Les planches sont réalisées par de nombreux dessinateurs et graveurs : Jean Chaufourier (1679-1757), Antoine Hérisset le père (1685-1769), Ferdinand Delamonce (1678-1753), Claude Lucas (16..-17..), Gérard Jean-Baptiste Scotin (1671-1716), Jean-Baptiste Scotin (1678-17..) et Antoine Aveline (1691-1743).

Un ouvrage à succès

L’édition de 1752, en quatre volumes in-12, de la Description de la ville de Paris et de tout ce qu’elle contient de remarquable, par Germain Brice, est le fruit d’une longue histoire éditoriale.

Posthume, cette édition, mise en chantier une quinzaine d’années après la disparition de l’auteur, n’est en effet publiée que dix ans plus tard, enrichie d’additions de Pierre Jean Mariette et de l’abbé Pérau, par les soins d’une compagnie associant quelques-uns des plus importants libraires de la capitale à cette époque : Pierre Gilles Lemercier, Jean Desaint et Charles Saillant, Jean-Thomas Hérissant, Laurent Durand et Pierre Alexandre Le Prieur.

Il s’agit, en outre, de l’ultime version d’un ouvrage à succès qui a connu pas moins de neuf éditions, plusieurs contrefaçons et réimpressions et des traductions en anglais, depuis sa première parution, en 1684, en un volume in-16 intitulé Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, signé seulement de l’initiale de son auteur, B***. Comme l’indiquent les éditions ultérieures, il s’agit d’un personnage assez mal connu, Germain Brice, qui fut l’homme d’un seul livre, mais d’un livre constamment remis sur le métier.
   

Germain Brice, un praticien de la ville

Les rares renseignements disponibles sur la vie de Germain Brice (vers 1653-1727), tirés de documents d’archives ou consignés par les éditeurs de l’édition posthume de 1752, indiquent qu’il était issu d’une famille originaire de Nemours récemment fixée à Paris où son père était huissier à cheval au Châtelet. Ayant bénéficié d’une bonne éducation, il prit l’habit ecclésiastique après ses études, mais sans jamais entrer dans les ordres. Il semble avoir vécu principalement des leçons qu’il dispensait, notamment de cours de français délivrés aux étrangers de passage à Paris. En 1692, il est mentionné dans Le livre commode contenant les adresses de la ville de Paris d’Abraham du Pradel comme enseignant « l’Histoire, la Géographie, le Blazon » et il est désigné, à l’époque de son décès en 1727, comme « maître de langue ».


  
 Selon les éditeurs de 1752, il aurait complété sa formation dans le domaine des beaux-arts au cours d’un voyage en Italie et, grâce aux connaissances plus étendues qu’il avait alors acquises, il était devenu mieux à même de guider les étrangers de condition auxquels il servait de cicérone à Paris pour leur faire découvrir les richesses de la ville.

La publication de sa Description résulte donc d’une double expérience très concrète de l’espace urbain et des curiosités des voyageurs, expérience qui le conduisit à proposer un guide imprimé d’un esprit nouveau.




Le Louvre.
Gravure d'Antoine Hérisset, dessin de Jean Chaufourier.
T. I, p. 41.

Un guide d’un genre nouveau

Dans l’avertissement de la première édition de son ouvrage, Brice se démarque en effet de la tradition des « antiquités » inaugurée par Gilles Corrozet en 1531 avec La Fleur des antiquitez, et poursuivie durant tout le XVIIe siècle, notamment par le P. Jacques du Breul (1528-1614) dans son Théâtre des Antiquitez de Paris (1612) [cote ENS : H F v 4 A 4°], deux auteurs auxquels il se réfère pourtant et renvoie son lecteur pour tous les détails historiques.
Loin de l’éloge du passé glorieux de Paris, l’ouvrage de Brice a pour ambition de dessiner un « portrait moderne » de la ville (G. Chabaud) et emprunte la forme d’un guide pratique, de petit format, destiné à tracer pour le voyageur un itinéraire et à lui signaler, chemin faisant, « ce qu’il y a de plus remarquable, & ce qui merite d’estre regardé avec quelque sorte de distinction » : principaux monuments civils et religieux, mais aussi demeures particulières, ainsi que les œuvres d’art ou les bibliothèques que les uns et les autres renferment.

À la différence de ses prédécesseurs, Brice renonce à rapporter épitaphes et histoires particulières qui, selon lui, ne servent à rien aux étrangers lesquels « aimeront bien mieux sans doute la description d’un cabinet, d’une bibliothèque ou d’un appartement bâti à la moderne, que la lecture des épitaphes du charnier des Saints Innocents ».
Le parcours à travers la ville proposé par la Description suit un ordre constant, d’édition en édition, débutant par le Louvre, « l’endroit le plus remarquable qui en fait le principal ornement par sa vaste étendue, & par la quantité des édifices qui le composent », pour parcourir ensuite la rive droite d’ouest en est, puis la rive gauche d’est en ouest, et s’achever dans l’île de la Cité avec l’église Notre-Dame, l’Hôtel Dieu et le Palais, puis les ponts, en particulier le Pont-Neuf et la Samaritaine.

La Pompe de la Samaritaine.
Gravure de Hérisset d'après Chaufourier.
T. IV, p. 177.
  

L’édition de 1752, un ouvrage hybride ?

L’ouvrage de Germain Brice connaît, au cours de ses éditions successives, de nombreux aménagements. Au fil du temps, l’auteur met à jour son guide en fonction de l’évolution de l’espace urbain, rectifie les erreurs historiques et intègre aussi certaines informations qu’il avait primitivement exclues, par exemple sur l’histoire du Paris monumental ou les épitaphes de grands personnages. Des figures gravées complètent le texte à partir de la cinquième édition, dédiée en 1706 à l’abbé Jean-Paul Bignon, alors éminent responsable de la librairie et des académies. Entre 1684 et 1752, l’ouvrage ne cesse de s’amplifier, passant d’un seul volume d’un peu plus de 565 pages dans l’édition initiale à quatre volumes d’environ 2000 pages en 1752.


  
 Dans cette dernière édition, en dépit de la présence d’un plan, l’adjonction de compléments dus à Mariette et Pérau, notamment de jugements sur les artistes et sur leurs œuvres, et l’ajout de nouvelles figures gravées de vues de la ville, éloignent peut-être le titre de sa vocation primitive d’ouvrage portatif à l’usage des voyageurs, pour l’apparenter davantage, dans une production de guides de Paris devenue très profuse, à un livre de référence surtout destiné aux amateurs d’art.

Vue de la ville de Paris du côté de l'île Notre-Dame.
Gravure de Hérisset d'après Chaufourier.
T. II, p. 329.

Postérité de la Description de Brice

Pour autant, la veine inaugurée par Brice ne se tarit pas mais trouve à s’exprimer au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle dans les nombreux autres guides urbains qui paraissent alors et combinent, en proportions variables, des renseignements utiles au visiteur et une sélection de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville, tels l’Almanach parisien en faveur des étrangers et personnes curieuses d’Hébert et Alletz ou le Voyage pittoresque de Paris de Dezallier d’Argenville [cote ENS : H F v 37 12°].

Parmi ces ouvrages, le Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris de Luc-Vincent Thiéry [cote ENS : H F v 36 12°], publié en 1787 par Hardouin et Gattey, Libraires de la Duchesse d’Orléans, au Palais Royal, quartier favori des voyageurs étrangers, se distingue par l’intérêt particulier qu’il porte aux réalisations modernes de l’urbanisme parisien puisqu’il intègre des vues, gravées d’après des dessins de l’auteur, de bâtiments récents comme les Écoles de chirurgie, ou l’église Sainte-Geneviève, encore en construction à cette date. La dimension pratique du guide est toutefois très explicitement revendiquée par l’auteur qui précise dans l’avertissement avoir divisé son ouvrage en deux parties, conformément à la situation de la Ville, « séparée en deux par le lit de la Seine » et pour « éviter à MM. Les Etrangers & Regnicoles l’incommodité de porter avec eux deux volumes à la fois ».   



Vue du portail de Ste Genevieve. Tome II, p. 240.

Notre exemplaire : H F v 8 B 12°.

Reliure fin 19e s., maroquin rouge, dos lisse orné à la "grotesque", avec titre et tomaison, triple filet doré en encadrement des plats et des contreplats, filet doré sur coupe, tranches dorées, gardes de papier marbré. - Monogramme "E W".
Acquis en 2011.

Bibliographie
- Germain Brice, Description de la ville de Paris et de tout ce qu’elle contient de remarquable. Reproduction de la 9e édition (1752) accompagnée d’une notice sur Germain Brice et sa Description de Paris et d’une table cumulative des neuf éditions par Pierre Codet, Genève : Droz ; Paris : Minard, 1971.
- Gilles Chabaud, « Images de la ville et pratiques du livre : le genre des guides de Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1998, 45-2, p. 323-344.
- Gilles Chabaud, « Les guides de Paris, une littérature de l’accueil », in D. Roche, dir., La ville promise, Mobilité et accueil à Paris, fin XVIIe-début XIXe siècle, Paris : Fayard, 2000, p. 77-108.
- Maurice Dumolin, « Notes sur les vieux guides de Paris », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1924, t. 47, p. 209-285.
- Jules J. Guiffrey, « Testament, scellé et inventaire après décès de Germain Brice », Bulletin de la société de l’histoire de Paris et de l’Ile de France, 10e année, 1883, p. 98-117.

Texte de Sabine Juratic, Institut d'Histoire Moderne et Contemporaine.
Présentation réalisée par Ariane Oriol - avril 2013.