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Les Tableaux de platte peinture des deux Philostrates

Philostrate de Lemnos
Les Images ou Tableaux de platte peinture des deux Philostrates sophistes grecs et les Statues de Callistrate mis en françois par Blaise de Vigenere... representez en taille douce en cette nouvelle edition avec des epigrammes sur chacun d'iceux par Artus Thomas sieur d'Embry...
Paris : Veuve d'Abel L'Angelier et veuve de Mathieu Guillemot, 1615.

Seconde émission de l'édition de 1614 : privilège du 14 octobre 1609, achevé d'imprimé du 2 janvier 1614. Tirage incluant les 3 planches supplémentaires (p. 600, 756, 872).
Titre-frontispice et 68 planches gravées sur cuivre. Bandeaux et culs-de-lampe gravés sur bois et sur cuivre. 2 vignettes gravées sur cuivre.


[Voir la notice dans le catalogue]








   Les Fables
: planche de Léonard Gaultier d'après Caron

   La planche présentée ci-dessus, Les Fables, est signée : « Anth. Caron inv[enit] », « L. Gaultier sculp[sit] ». Un premier état, connu par une planche isolée, porte la mention erronée « Anth. Cacon in » (BnF, Est. Ed. 12 Rés.). On conserve un dessin anonyme, dans le sens de la gravure, considéré comme une copie (242 x 188 mm ; mine de plomb, plume, lavis, inscription au verso « La fauole delli animali di Esopo ») Copenhague, Musée Royal des Beaux Arts, cabinet des dessins.
   L'ouvrage suit une mise en page précise : chaque Tableau commence par la planche gravée, accompagnée de l'épigramme d'Artus Thomas, on trouve à la page suivante l'argument en italique, puis la traduction du texte de Philostrate en caractères romains, et enfin, en caractères plus petits, les commentaires érudits de Vigenère, souvent très abondants.

    Les Icones ou Images et la Suite des Images, rédigées au IIIe siècle par deux auteurs grecs du nom de Philostrate, proposent la description de 64 et 17 tableaux ayant orné les murs d’une galerie à Naples, et représentant des personnages de la mythologie évoqués par les anciens poètes. À travers la pratique de l’ecphrasis, elles mettent en relation les arts visuels avec la réalité sensible, élaborent une complexe théorie de l’imitation et proposent une réflexion sur la vérité des fables et leur capacité d’offrir une voie d’accès aux réalités supérieures. Le texte, redécouvert à la Renaissance, apporta une contribution essentielle à la théorie des arts visuels en train de s’élaborer en Italie. L’édition princeps fut publiée en 1503, à Venise, chez Alde Manuce. Henri III en aurait commandé une  traduction française à Jacques  Amyot. Ce fut en fait le protégé des Gonzague-Nevers, Blaise de Vigenère (1523-1596) qui  mena à bien le travail. Sa traduction fut publiée en 1578. En 1597, le libraire parisien Abel L’Angelier, ami et exécuteur testamentaire de Vigenère, fit paraître une deuxième édition, complétée de la Suite et augmentée des Statues de Callistrate et des Héroïques de Philostrate, que le traducteur avait pu achever avant sa mort. Cette édition fut réimprimée en 1602.

   En 1609, L’Angelier chercha à prolonger son monopole sur l’œuvre en lui donnant une nouvelle forme : un texte révisé sur l’original grec par Fédéric Morel, et une suite de planches gravées, accompagnées d’épigrammes dues à Artus Thomas, qui résumaient leur sens moral. L’importance de l’investissement le conduisit à s’associer avec son confrère Mathieu Guillemot. Le projet, interrompu par la disparition des deux libraires, fut mené à terme par les veuves de ceux-ci, Françoise de Louvain et Anne Sauvage : l’impression fut achevée le 2 janvier 1614.
   Une partie des exemplaires fut publiée la même année, une autre fut mise en vente l’année suivante, la date étant corrigée à la plume en 1615 [c'est le cas de l'exemplaire de l'ENS]. Le Philostrate fit l’objet d’une réimpression en 1629, suivie d’une seconde émission en 1630, et  d’une émission composite en 1637.

   L’illustration faisait la principale nouveauté de l’édition du Philostrate de 1614-1615 ; elle est constituée d’un titre-frontispice gravé, de deux vignettes dans le texte et de 65 planches à pleine page (environ 238 x 190 mm) pour les Images ; certains exemplaires contiennent trois planches supplémentaires pour la Suite, les Héroïques et les Statues. Cette illustration est un choix de libraire. Elle témoigne de l’essor du livre illustré à Paris, dont L’Angelier fut un des promoteurs, suivant le modèle donné par Plantin à Anvers.
   Sa réalisation connut deux moments, correspondant à deux initiatives distinctes. Dix planches furent exécutées avant 1609 d’après des dessins du peintre Antoine Caron (mort en 1599), par deux artistes qui lui étaient liés et qui travaillaient habituellement pour L’Angelier, Thomas de Leu [voir Neptune et Amymone] et Léonard Gaultier [voir les Fables], et une douzaine d’autres correspondent à son style. L’Angelier chargea ensuite le graveur anversois Jaspar Isaac de poursuivre le projet avec une nouvelle équipe de collaborateurs, actifs jusqu’en 1613 [voir le frontispice]. Le résultat est aussi spectaculaire que disparate, il illustre le style éclectique franco-flamand, combinant même des éléments du maniérisme praguois, qui s’impose en France au début du XVIIe siècle, très loin de la suavité de l’École de Fontainebleu sous les derniers Valois.
   Cette illustration constitua pendant longtemps le principal attrait du texte très érudit de Philostrate, qui serait devenu incompréhensible sans elle, même si d’une certaine manière elle en trahissait le dessein rhétorique. Elle joua un rôle non négligeable dans la transmission des fables et le développement des formes visuelles : ce qui était à l’origine un livre de lettré devint un livre de peintre, celui-ci, un livre de graveur, puis un livre pour peintres, dont témoignent le Bacchus et Ariane de Le Nain (Musée d’Orléans) et les nombreuses mentions dans l’œuvre de Poussin, pour finir (si l’exemplaire est beau) comme un livre de bibliophile.

Bibliographie :
- Jean Balsamo & Michel Simonin, Abel L’Angelier et Françoise de Louvain (1574-1620). Suivi du catalogue des ouvrages publiés par Abel L’Angelier (1574-1610) et la Veuve L’Angelier (1610-1620), Genève, Droz, 2002. (Travaux d’Humanisme et Renaissance, 358).
- Henri Bardon, « Sur les Images ou tableaux de platte-peinture de Blaise de Vigenère », in Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 55, 1977, p. 106-121.
- Emmanuelle Brugerolles et David Guillet, « Léonard Gaultier, graveur parisien sous le règne de Henri III, Henri IV et Louis XIII », in Gazette des Beaux Arts, vol. 135, 2000, p. 1-24.
- Richard Crescenzo, Peintures d’instruction. La postérité littéraire des Images de Philostrate en France de Blaise de Vigenère à l’époque classique, Genève, Droz, 1999. (Travaux du Grand Siècle, 10).
- Jean Ehrmann, Antoine Caron peintre de fêtes et de massacres, Paris, Flammarion, 1986, p. 182-188.
- Stephen P. Fox, « Les Images ou Tableaux de platte peinture », in Xenia, vol. 10, 1985, p. 71-115.
- William Mc Allister Johnson, « Prolegomena to the Images ou tableaux de platte peinture with an excursus on two drawings of the school of Fontainebleau », in Gazette des Beaux-Arts, VIe série, vol. 73, 1969, p. 277-354.
- Denise Métral, Blaise de Vigenère (1523-1596) archéologue et critique d’art, Paris, Droz, 1939.
- Philostrate, Les Images, éd. Françoise Graziani, Paris, Champion, 1995, appendice, p. 977-986.

Notre exemplaire : L G d 3 F° : Reliure 17e s., veau brun, dos à 7 nerfs orné de fleurons doré, double filet doré en encadrement des plats. - Restauré en 1987.
Ancienne cote : L G c 7. - Il s'agit vraisemblablement du double de la Bibliothèque de l'université de Paris attribué à l'Ecole normale en 1818, repris puis restitué à l'Ecole normale en 1832. Cf. Sorbonne, ms. 1607, n° 336 fol. 12 ("Les tableaux de Philostrate. Paris 1615 : 1 in-fol.") ; n° 324 fol. 23 v. ("Les images et tableaux de plate peinture des deux Philostrates, trad. par Blaise de Vigenere. Paris 1615. 1 f°") ; fol. 59 v° ("... Paris 1615, in fol. veau").

La Bibliothèque possède également l'édition de 1611 de la Vie d'Apollonios de Tyane de Philostrate [cote L G d 13 4°] et le Chalcondyle de 1620 [cote L G h 74 F°], deux autres traductions de Vigenère publiées chez la veuve d'Abel L'Angelier. On notera que le frontispice du Chalcondyle est l'oeuvre du même Jaspar Isaac.

Texte de Jean Balsamo, Université de Reims.
Présentation réalisée par Estelle Boeuf-Belilita - février 2013.